Ou quand le challengeAZ prend un tour infiniment plus personnel et intime...
Yvonne,probablement dans les années 50 |
Yvonne Marie Elisa GUERIN (1920-2010) est ma grand-mère paternelle. Elle est la seule de mes 4 grands-parents que j’ai bien connu. En effet mes grands-pères sont décédés avant ma naissance en 1966 et 1968, et ma grand-mère maternelle est décédée en 1982 alors que je n’avais que 7 ans et demi et son souvenir est flou pour moi.
Quand ma grand-mère est décédée en 2010, j’avais écrit ce texte sur le blog que je tenais à l’époque, je vous le livre tel que je l’avais écrit ce 19 juillet 2010.
1920-2010 : ma grand-mère est partie durant son sommeil dans la nuit de vendredi à samedi et je ne lui ai jamais dit je t'aime.
Dans la famille, ces choses là ne se disent pas...
Elle ne m'a jamais raconté grand-chose, tout ce que je sais, je l'ai saisi au vol quand j'allais la voir, une bribe par ci, un bribe par là... Mais ces bribes mises bout- bout m'ont appris à la connaître, à la comprendre...
Elle n'a pas vraiment eu une vie facile...
Elle a 9 ans quand son père décède, sa maman n'est pas vraiment une "tendre".
Elle est élevée "à la dure" : on ne pleure pas, on ne montre pas ses sentiments, on obéit...
Alors qu'elle était enfant, elle était dans la jardin, il faisait chaud, elle a retroussé ses manches : elle s'est fait réprimander car on ne montre pas ses bras, c'est incorrect.
1941 : elle épouse mon grand-père, ce n'est pas un mariage de sentiments mais un mariage de raison, un mariage arrangé, elle n'a pas eu le choix.
Mon grand-père devait en épouser une autre en 1939 mais ça ne s'est pas fait à cause de la guerre, il épousera donc ma grand-mère en 1941.
1942 : naissance du 1er enfant (mon père) : c'est bien, c'est un garçon, il est robuste, c'est toujours utile un garçon à la ferme.
1944 : naissance d'un autre garçon. Dès la naissance, il est malade, fragile. Il décédera à 9 mois. Mon grand-père n'en fait pas grand cas... Ma grand-mère, comme on le lui a éduqué, ne montre pas son chagrin, on ne pleure pas, on cache ses sentiments...
Années 40/50 : c'est encore l'époque des veillées chez les voisins, on y va à pied, il y a 1 ou 2 km à parcourir, ma grand mère est enceinte, mon grand-père ne lui donne même pas le bras...
D'autres enfants suivront, ils seront 6 en tout. Mon arrière grand-mère (mère de mon grand-père) le lui reprochera : ça fait trop, ça divise l'héritage ! Comme si elle en était seule responsable... Mon arrière grand mère de laquelle j'ai toujours eu peur jusqu'à son décès en 1983 à l'âge honorable de 93 ans, c'était une vraie méchante celle-là!
1962 : naissance de la "petite dernière", là, c'est mon père qui le voit d'un mauvais œil : il a 20 ans, il part à l'armée pour 18 mois, son père est déjà malade : qui va l'élever ?
1966 : le grand-père meurt... ses enfants ont 24, 21, 20, 14, 12 et 4 ans.
Ma grand-mère s'occupe alors de la ferme l'aide de mon père. Elle traira ses quelques vaches, à la main, jusqu'au milieu des années 80 !
1983 : décès de l'arrière-grand-mère : son fils unique (mon grand père) étant décédé, c'est mon père qui avait été nommé curateur. A son décès, 3 des frères et sœur accusent mon père et ma grand-mère de s'en être mis pleins les poches sur le dos de l'arrière grand-mère... c'est la sécession. Les ponts sont coupés... Ma grand-mère ne verra plus que 5 de ses 11 petits enfants et 3 de ses enfants.
Années 90 : un de mes oncles divorce, ses 3 enfants rejettent la famille en bloc y compris la grand-mère qui n'y est pourtant pour rien... Reste 2 petits enfants (mon frère et moi) et les 2 filles de la "petite dernière" nées entre temps.
1996 : une cousine de mon âge décède : ce drame permettra à mon oncle de renouer le lien et nous (mon frère et moi) de connaître notre tante.
1998 : mon oncle (le divorcé) décède : ma grand mère ne pleure pas, on ne lui a jamais appris à pleurer, à montrer ses sentiments. Elle est touchée, cela se sent mais elle ne pleure pas...
2000 : la tante que nous apprenions à connaître décède, mon oncle se retrouve seul et se rapproche considérablement de sa mère.
Début 2005 : la fille aînée de ma grand mère décède, je ne la connaissais plus, pas vue depuis le début des années 80... Ma grand-mère assiste à ses obsèques malgré toutes les horreurs qu'elle aura pu lui dire (aussi méchante que l'arrière grand mère celle-là !), c'est sa fille après tout...
Été 2005 : ma tante (la petite dernière) organise un rassemblement des cousins et cousines avec ma grand-mère : on est presque tous là, on apprend à se connaître, ce n'est pas facile à 30 ans passés, ma grand-mère est contente, elle revoit ses petits enfants, elle rencontre ses arrières petits enfants. Heureuse ? Je ne suis pas sûre qu'elle sache ce que cela veut dire... Mais ce sera sans suites...
Courant 2009, elle exprime le souhait d'aller en maison de retraite mais il faut attendre qu'une place se libère...
Février 2010 : elle rentre à la maison de retraite, il était temps, mon père s'épuisait à aller la voir à chaque repas pour s'assurer qu'elle mange...
Depuis, elle avait rajeuni ! La vie en collectivité lui réussissait. Dans sa maison, elle était très souvent seule, elle ne conduisait plus depuis un an ou deux. Là, elle voyait du monde en permanence, elle avait des activités...
Mercredi 14 juillet : elle était en famille avec mes parents, mon oncle, ma tante... Elle était souriante (heureuse ?).
Vendredi 16 juillet : la journée se passe normalement, elle a bon appétit.
Samedi 17 juillet : l'infirmière entre dans sa chambre pour l'aider à faire sa toilette, elle semble dormir, elle ne se réveillera plus...
Et moi je pleure...
Elle était parfois rude, revêche... Elle n'avait rien des grand-mère d'images d'Épinal... Elle n'a jamais eu de mots tendres, je ne me souviens pas qu'elle ait eu des gestes tendres... Mais on ne lui avait jamais appris, jamais permis : ni avec sa mère durant son enfance, ni avec son mari, ni après le décès de son mari...
Mais je l'aimais quand même... Mais je ne lui jamais dit...
Avec ma fille aînée en 2006. |
Seulement 3 prénoms féminins commencent par un Y dans ma généalogie : j’ai 8 Yvonne, 3 Yvette et 1 Yolaine.
Très beau texte. Merci pour cet émouvant moment de lecture.
RépondreSupprimerBéatrice.
Il est toujours très émouvant de lire -et difficile d'écrire- au sujet de personnes proches
RépondreSupprimerNice post thanks for sharing.
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